L’étymologie a toujours raison (moi aussi).
Être malade oblige à faire tout un tas d’examens, à se rendre ici ou là pour tel ou tel rendez-vous avec, à chaque fois, un temps d’attente, l’obligation de répondre sans fin aux mêmes questions bref, tu revois ton français et tu redécouvres que oui, il faut beaucoup de patience pour être patient. Ça sonne comme une évidence, mais le vivre t’amène à ressentir cette révélation étymologique. De l’étymologie appliquée en quelque sorte…
Et l’on réalise que la patience s’apprend, ou du moins qu’on peut se perfectionner en la matière. D’abord, on s’organise pour être toujours en mesure de communiquer, bosser, s’occuper: smartphone (là par exemple j’écris ces lignes dans une salle d’attente sur mon téléphone), ordi, bouquin. Ensuite on apprend à gérer un équilibre subtil entre la construction d’une bulle dans laquelle on peut s’isoler et le fait de rester aux aguets pour ne pas louper l’affichage de son numéro, l’appel de son nom ou tout autre signal extérieur. On arrive ainsi à ne pas être perturbé par la discussion d’à côté, les annonces diverses ou la surpopulation “salledattentiste”.
Reste le gros morceau, l’acceptation et la gestion de l’attente: on n’attend pas de la même façon 30 minutes ou 12 heures de rang. Il existe plusieurs strates: moins d’une heure, niveau facile/débutant. De deux à trois heures, niveau intermédiaire, de trois à six heures, avancé et plus de six… C’est trop.
Et puis il y a l’attente de longue haleine, celle qui dure toute la nuit, ponctuée de divers mouvements, de la salle d’attente de l’accueil à la salle d’auscultation, de la salle de radiographie à la salle d’attente intérieure, et de diverses prises d’information, verbale, tension, prise de sang etc. Celle-là, il faut la gérer comme une nuit blanche chez un ami. On peut, là aussi, s’octroyer des moments de “somnolitude”, sur son sac, sur le lit à roulettes en attendant l’infirmière ou le médecin, dans le fauteuil à prises de sang, on peut aussi écouter ce qui se passe autour, voir comment les gens réagissent. En général, on parle peu avec les autres patients, les échanges sont assez courts et portent souvent sur des aspects terre à terre: “Vous auriez un chargeur pour mon téléphone ?”, “Je peux vous emprunter cette chaise ?” “Où avez-vous eu ce café?”. Personne n’a envie de raconter son histoire in extenso et personne n’a besoin d’écouter le malheur et la douleur que les autres n’ont de toute façon pas envie d’étaler. C’est une espèce de statu quo implicite, enfin moi je l’ai vécu comme ça, n’ayant rencontré personne qui ait besoin de rentrer dans les détails de sa maladie au milieu de dix étrangers. De plus, quand tu es à peu près normalement constitué, l’épreuve de la maladie te rend humble: tu ne détailles pas ta manière de tenir la raquette, ton revers, ton lob ou ton coup droit à Federer, Nadal ou Djokovitch… Ben là c’est pareil.
J’ai failli dire “pareil sans la télé”, mais en fait si! La télé est omniprésente. A Cochin, c’est BFM ou la 2. J’ai ainsi appris que j’avais chopé le Covid après deux heures de martyr devant une spéciale Marc Lavoine, style faux concert tout pourri, avec des versions réarrangées façon mollusque de ses chansons, en plus du sérieux coup de vieux que le bonhomme a subi. Cerise sur le gâteau, des invités, tous plus foireux les uns que les autres, qui ont surtout le talent d’avoir probablement le même manager ou la même maison de disques que lui. Ben j’vous l’dis ma bonne dame: apprendre qu’on n’a QUE le Covid dans ce genre de contexte, c’est QUE du bonheur!