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Collège – Lycée

6e – 5e

Durant mes deux premières années de collège, j’ai eu droit aux maths modernes, avec les patates et tout ça, qui furent à la mode fin des années 60. En gros, je suis né deux ans trop tôt. Arrivé en 70 au collège, j’ai pris pour deux ans de maths modernes et en juin 72, elles ont été abandonnées… d’un coup d’un seul, sans transition, sans explication, sans mise à niveau ! Démerdez-vous ! Après tout, les maths sont tellement subtiles, gratifiantes, amusantes etc. que ça ne devrait poser aucun problème. Non?.. Si?.. Ah bon…

Intersection de 2 ensembles
2 ensembles s’intersectant avec enthousiasme.

Moi j’aimais bien pourtant Matt Modern, j’avais l’impression de comprendre ce qui se passait, enfin la partie dessin/coloriage en tout cas. Donc, les patates étaient des ensembles. Des ensembles de quoi ? J’en savais rien, mais c’était plutôt sympathique ces baudruches qui se réunissaient, avaient des intersections, des inclusions, tout ça. C’était assez clair tant qu’on dessinait des ballons vides et qu’on coloriait des zones. Après, on est passé à des trucs du genre: un ensemble de moineaux et un ensemble de mouettes. On voyait bien qu’il n’y avait pas d’intersection, vu qu’aucun moineau n’avait niqué avec une mouette à notre connaissance. Mais on admettait sans problème que tous deux étaient inclus dans l’ensemble des oiseaux, lui-même inclus dans l’ensemble des animaux etc. Là ça te parle à peu près et jusque-là, tout va bien, c’est logique, gérable quoi.

Et puis, un beau jour, sans crier gare, voilà l’ensemble N des entiers naturels ! Mékokosséstruc? Comme je n’en ai aucune idée, j’imagine une tribu de mecs bien balaises… entiers tu vois, qui vivent dans la forêt… naturels les mecs. Je savais bien que ce n’était pas ça mais je commençais à décrocher, alors autant rêvasser un peu non ? Pis R arrive à son tour, ensemble des rationnels, ce qui vu de ma porte, ne veut rien dire du tout. D’ailleurs je ne sais toujours pas ce que ça peut bien vouloir dire, y a-t-il des (nombres) irrationnels ? Pourquoi le sont-ils et pas les autres? Aucune idée. Notez bien, car je crois que c’est une des raisons sinon la principale raison de mon décrochage complet, qu’à aucun moment, aucun (!), le sabir mathématique de l’époque ne me dit : « nombres entiers naturels » ou « nombres rationnels ». Avec le recul, je me dis que l’ensemble D des décimaux aurait dû me mettre la puce à l’oreille mais j’étais déjà parti en rêverie quand D est apparu, je pense. Puis viennent Z, Q et même E qui est l’Ensemble avec un E majuscule, l’Ensemble ultime, qui ne contient rien sinon son propre concept. Enfin, je crois…

De plus, toutes ces lettres arborent une double barre, et ce n’est pas anodin : on les travestit pour bien montrer qu’elles ne veulent plus dire ce qu’elles voulaient dire avant que tu ne fasses des maths. Et c’est la même chose avec les mots : ils changent de sens. Soi-disant pour plus de clarté…
J’ai toujours eu un problème avec ceux qui s’approprient des mots existants pour en changer le sens, le rendant, en général, insipide ou vil, comme les gars qui font du “R n’B”, soupe mielleuse qui n’a rien à voir avec le Rythm n’ Blues. Ou encore les politiques qui appellent “réformes” des mesures d’affaiblissement du service public ou de précarisation de la population, ceux qui « éloignent les migrants » plutôt que d’expulser des réfugiés. Mais je m’égare…

Tu prends tellement l’habitude de te méfier des mots en cours de maths que, même quand ils sont employés sans travestissement, tu te tiens sur tes gardes, tu cherches midi à quatorze heures. C’est ainsi que j’ai attendu d’avoir 40 ans pour me rendre compte qu’une variable était une donnée dont la valeur pouvait varier. C’est idiot, mais j’aurais jamais deviné, étant môme, que ce mot-là avait le même sens en maths qu’en français. Méfiance, méfiance, défiance…

Cette matière nous avait tellement été présentée comme un système abstrait, autosuffisant, ayant sa propre logique interne, sans qu’on nous pointe précisément ses applications réelles et concrètes, ou alors dans des domaines qui ne nous parlaient pas du tout et de manière très élusive, en passant, sans détailler, que toute connexion entre les maths et quoi que ce soit de non-scientifique (français, musique, peinture, architecture) semblait, aux yeux du gamin de 10/11 ans que j’étais, hautement improbable, voire impossible, carrément hérétique. Partant de là, pourquoi en aurais-je cherché, si l’enseignement d’alors m’avait persuadé qu’il n’y en avait pas? Vous voyez la déformation de l’esprit?

4e et la suite

En 4e, c’est “Back to ze fioutcha”, retour aux maths classiques, fini les patates ! Enfin je pense qu’il s’agit de maths traditionnelles. Car si ce sont toujours des maths modernes, c’est encore pire, le saut n’ayant absolument pas été préparé par les enseignants.

Amas de formules mathématiques
Image: Elchinator sur Pixabay

Avez-vous déjà éprouvé cette sensation, de retour d’une maladie, genre coqueluche, rougeole ou scarlatine, un truc bien méchant qui dure au moins une quinzaine de jours, voire plus, d’être complètement largué ? Pendant que vous étiez en train de vous gratter les croûtes ou de tousser comme un perdu sans discontinuer, les autres ne vous ont pas attendu! On dirait même qu’ils ont cravaché, mis les bouchées doubles, exprès pour vous embêter, pour que vous soyez à la rue complet à votre retour. C’est exactement ce que j’ai ressenti dès les premiers cours de maths de ma classe de quatrième, sauf que… je n’avais pas été malade !

Je n’avais pas loupé un put… de jour de classe, pas une seule put… d’heure de cours et pourtant… j’étais aux fraises. Je ne comprenais strictement rien de rien de ce qui se passait ! Je ne comprenais même pas ce que je ne comprenais pas! Aucune idée de ce qui n’allait pas, juste l’impression de basculer dans une « irréalité parallèle » chaque fois que je franchissais la porte de ce cours de m… euh… de maths. Rien de sensé à quoi se raccrocher. En chute libre le gars!

Le plus incroyable c’est que les autres, enfin la plupart des autres, ont l’air de comprendre, de suivre. Ils prennent des notes, soulignent en vert, en rouge, lèvent le doigt pour répondre, récitent définitions et théorèmes (jamais vraiment compris la différence), passent au tableau sans trop de casse. Le prof les reprend par-ci par-là mais bon, ça va. Et pas que les bons élèves, les élèves moyens aussi, des types que tu écrases en anglais ou en français… Mais là, ils se démerdent bien mieux que toi et ils ne voient pas ce qui te perturbe tant en maths : « Ouais bon, c’est chiant, mais suffit d’apprendre ses formules tu vois… pis tu les appliques après… Tu ouah? ».