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Exposition

 

Nul en maths? Oui ça existe!

Je me suis décidé, à plus de 50 ans, à écrire ce texte, parce que j’en ai eu marre de ne pas avoir la parole ou, du moins, de ne pas me reconnaître dans quelque écrit, interview ou enquête sur les maths et le désamour qu’on leur porte. Parce qu’à chaque fois qu’on en parle dans quelque média que ce soit, on convoque le dernier prix Nobel en date ou le prof d’université qui vient de démontrer le théorème sur lequel des générations de matheux ont bouffé leur dentier.

La lumière bienfaisante de la connaissance maîtrisée
La lumière bienfaisante de la connaissance maîtrisée – Photo de Nadine Shaabana sur Unsplash

Et le gars s’en vient à la télé ou sur internet, un poil halluciné, les yeux pleins de la lumière bienfaisante de la connaissance maîtrisée, t’expliquer à quel point il est dommage que les maths soient si peu populaires dans nos contrées, vu que c’est vraiment LE monde fantastique de tous les possibles, que c’est un jeu de l’esprit à la fois subtil, gratifiant, amusant et bla et bla et bla. Toi qui n’a rien ne serait-ce qu’entrevu de tout ça dans ta vie, tu écoutes, pour voir, pour essayer une énième fois de comprendre. Et ça se gâte toujours au même moment : quand le gars prend un exemple censé démontrer à tout un chacun ce qu’il vient de dire. Quel que soit le sujet mathématique qu’il aborde, l’exemple qu’il prend, en une demi-phrase, il t’a perdu. Pour une raison simple: il est dedans et toi, dehors.

Très rapidement, tu te rends compte que, quelle que soit sa bonne volonté, il ne parle qu’à ceux qui ont déjà intégré un certain nombre de notions qui leur permettront de le suivre. Toi t’es hors-jeu dès les premières phrases et il ne convainc que des convaincus. Le gars fait son numéro de scientifique ouvert, passionné et vulgarisateur, puis il retourne à ses travaux. Personne, jamais personne, ne donne la parole aux hors-jeu. Mieux encore, personne ne les invite à porter la contradiction. On fait comme si être mauvais en maths ou n’y rien comprendre était une disgrâce (c’en est une, indéniablement), à laquelle on ne pourrait rien, comme un pied bot, un truc congénital, t’as la bosse ou tu l’as pas, pis c’est tout ! De toute façon, l’interviewer, lui-même plus ou moins dépassé, évite en général d’approfondir, se contentant d’acquiescer et de scander l’entretien d’exclamations admiratives.

Un ou deux reportages sur un ou deux établissements qui tentent un enseignement différent et tout le monde rentre chez lui, rasséréné d’avoir contribué à arranger la situation. Chimères. J’ai donc modestement essayé de me pencher sur ma mésaventure mathématique, d’en démêler les fils, d’y trouver des explications et ce que j’en ai compris m’a littéralement mis hors de moi.

A propos de… moi

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois un peu vous parler de moi. Parce que bon, je ne suis pas qu’une victime, j’ai aussi ma part de responsabilité dans ce naufrage. Pour commencer, je ne jouis pas d’une imagination débordante, je ne fais pas de rêves extraordinaires, pas de cauchemars non plus et, de toute façon, même si j’en fais, je ne m’en souviens pas, ce qui revient au même. J’ai la réputation d’avoir les pieds sur terre mais je ne suis pas non plus doué d’un esprit d’analyse très poussé : j’ai du mal à décrypter instantanément ce qui se passe ou se dit devant moi, ce qui se joue derrière ce qui se dit. Je comprends très bien mais je n’analyse pas en temps réel, je ne déduis pas. Bref, je comprends mais j’ai besoin de temps pour détailler, soupeser et tirer mes conclusions.

Je suis le genre de gars qui imagine les cent réparties, toutes plus fines les unes que les autres, qu’il aurait pu envoyer dans les dents de son interlocuteur s’il en avait eu la présence d’esprit. Mais là t’es dans le métro mec, le type est déjà rentré chez lui et tu sais où tu peux te les mettre tes réparties de ouf ?

Plan architecture
Mythomane va ! – Photo de Sven Mieke sur Unsplash

J’ai du mal avec les représentations mentales aussi: chaque fois que j’entends un “bon en maths” parler de son rapport aux maths, il dit qu’il voit les figures, les courbes, les objets dans sa tête. Là déjà, ça coince en ce qui me concerne. Ça n’évoque strictement rien chez moi. Je n’ai aucune expérience vécue qui pourrait me servir de référence en la matière. C’est simple: je ne vois rien et je n’ai jamais rien vu dans ma tête en regardant une formule mathématique. Je n’ai jamais eu une figure devant, ou plutôt juste derrière mes yeux, dans mon cerveau, avant même de l’avoir (mal) tracée.

J’ai toujours été bluffé par les gens qui sont capables d’acheter une ruine parce qu’ils ont vu son potentiel, ce qu’ils allaient pouvoir en faire. Moi je vois ce que j’ai devant les yeux : une ruine, un tas de merde, un chaos de pavasses qui me fatigue rien que de le regarder… Pas la peine de me parler terrassement, mur porteur, crépi, déco, baie vitrée, je ne vois que ce que j’ai devant les yeux : des cailloux! Pareil pour les plans de maison : je suis absolument incapable d’imaginer les pièces et l’agencement du lieu. Je vois des traits droits, d’autres courbes, les portes et les fenêtres ressemblent à des camemberts ; donc au mieux j’imagine une boîte de Vache qui rit, une boîte à fromages, un truc pas très excitant en somme. Même étonnement vaguement soupçonneux quand un de mes potes architectes m’a expliqué qu’à peine les yeux posés sur un plan, il voyait les pièces prendre forme, en volume. Science-fiction mec ! Mythomane va !

Homme seul dans la montagne
Mes amis! Mes amis! – Photo de NEOM sur Unsplash

Et encore, je ne parle même pas des titans créatifs que sont des types comme Peter Stuyvesant. Les mecs se pointent à un endroit, y a rien! Pas une Mobylette ! Si, en général il y a un cours d’eau. Toi, tu vois une rivière, tu trempes tes orteils, tu fais des ricochets et si t’es entreprenant, tu pêches. Mais là, le bonhomme harangue les autres : « Mes amis… Mes amis… C’est ici que nous allons bâtir notre cité ! ». Il te dit ça au milieu d’une clairière de merde ou au sommet d’une colline pelée, et le pire c’est qu’il a raison !!

Même lorsque je lis un livre, bien sûr je me fais une idée des personnages mais tout cela reste assez flou: j’ai vaguement une corpulence, une coiffure éventuellement en tête mais rien de précis. Pas de traits du visage, pas de vêtements particuliers, même, et presque surtout, si l’auteur les a décrits (pas de pot Honoré hein?). Et je ne parle même pas des lieux que je n’imagine pas du tout, ou alors complètement de travers et juste pour servir de fond aux personnages. Les cartes imaginées par l’auteur, même combat (Dune, Le seigneur des anneaux etc.). Le pire est que je suis capable à la fois de vous dire que le film tiré du livre ne correspond pas à l’idée que j’en avais et de ne pas être en mesure de vous expliquer ma vision du truc, trop vague, trop fugace, trop parcellaire. Bref, voilà, je n’ai aucune imagination visuelle, aucune inclination à me projeter un cinéma intérieur, je dessine comme une daube, je ne vois que ce que je vois et je suis bien conscient de ne pas tout voir en plus…