Entre deux chaises

Suite à un post dans lequel j’expliquais que je trouvais le milieu mathématique fermé et indifférent à ceux qui n’y comprenaient rien, j’ai eu une poignée de réponses soulignant que “mon milieu” (comprenez le milieu de la musique, ou des guitaristes ou du rock français) était lui aussi très fermé. J’ai été assez surpris car je n’ai jamais eu le sentiment de faire partie d’aucun de ces milieux, ni d’ailleurs d’aucun des milieux dans lesquels j’ai opéré.

Boulot

Photo de Markus Spiske sur Unsplash

J’ai eu pas mal d’occupations différentes dans ma vie, très différentes mêmes. Certaines furent bien payées, d’autres moins. Certaines demandaient de l’isolement, d’autres, au contraire, devaient se faire devant le maximum de personnes pour être réussies. Certaines se faisaient en silence, d’autres en musique, certaines requéraient un endroit spécial, d’autres pouvaient se faire de n’importe où. Mais, pour moi, toutes ont eu un point commun: je ne me suis jamais senti appartenir à une profession, une corporation, un collectif. J’ai toujours eu le même sentiment d’être le cul entre deux chaises. C’était et c’est toujours plus fort que moi: j’exerce un métier, une activité (instituteur, webmestre, musicien, journaleux) et je n’arrive pas à adhérer aux codes, aux modes, aux us et coutumes des différents secteurs et corps de métiers dans lesquels je me trouve. Le costume me gêne toujours aux entournures. Je n’y arrive pas, je ne peux jamais adopter tout le package, il y a toujours trop de choses qui ne me correspondent pas, qui m’empêchent de…

Ça tient parfois au corporatisme bête et méchant: ”Je ne sais pas, je ne comprends pas, je ne connais pas le dossier mais… je défends le gars parce qu’il fait le même métier que moi”. Ou bien: “Je connais ce gars, c’est un sale con, il est malsain, incompétent mais il fait le même métier que moi, alors je suis solidaire”. Ben moi désolé, je ne peux pas et… ça se voit… jusque sur ma gueule. Je ne peux pas être solidaire d’une personne sur ce simple critère de confraternité. C’est la même chose pour ce qu’on appelle aujourd’hui le “genre”. Je suis un homme, aucun doute pour moi là-dessus, mais les sorties entre mecs, les discussions bien grasses sur les meufs, les souvenirs de service militaire, les pieds sous la table, les murges et les concours de bites, c’est pas du tout mon truc.

Famille

Photo de Tyler Nix sur Unsplash

Côté famille, je n’ai jamais eu la sensation de faire partie d’un clan. Ma famille ce sont mes proches, ça a toujours été comme ça. Au début, nous étions deux, ma mère et moi, puis trois avec mon frère, et pendant des années ma famille c’était trois personnes. Ma sœur et ma fille sont nées, portant ce nombre à 5 puis 7. Ensuite se sont agrégés leurs enfants et, ma compagne, mes belles-filles, leurs enfants, la vie quoi. Mais il existe tout un autre pan de cette famille, beaucoup plus fourni, qui porte le même nom que moi, que nous avons peu vu et peu connu. De plus, les derniers contacts avec eux ont été, sauf exceptions, décevants, navrants. Donc pas de clan familial automatique. La famille s’est enrichie des gens qu’on a choisis ou qui nous ont choisis mais là aussi ce n’est pas une famille automatique. Donc, j’ai des gens avec qui je partage des liens du sang, comme on dit, mais que je ne considère pas comme faisant partie de ma famille, de mon “clan”, et d’autres, sans lien biologique, qui en font partie parce que je l’ai décidé.

Français jusqu’à la moëlle

Je ne me sens aucune appartenance ethnique, politique, religieuse, syndicale ou autre. Je suis d’origines diverses, afghane, corse, italienne, russe, donc pour l’enracinement, l’attachement à une terre, une région etc. on repassera. Je suis français, né en France, de mère française, de culture 100% française, et j’aime profondément mon pays et sa culture. Mais… Je ne bois pas de vin, je n’apprécie ni le champagne ni le foie gras, ni Johnny Halliday, ni Marguerite Duras, ni Indochine, ni Depardieu etc.

Je sais ça fait cliché, mais où trouve-t-on une telle diversité? Et ce n’est qu’un petit échantillon! – Photo de Nella N sur Unsplash

Je me situe, comme on dit, plutôt à gauche, mais je ne me reconnais et ne me suis jamais reconnu dans aucun parti, même dit “de gauche”. Comment pourrais-je m’encarter derrière un Straus-Khan, un Hollande ou un Mélenchon? C’est juste inconcevable, impensable, impossible.

Quant aux religions, vues de ma fenêtre, ce sont au mieux, des contes et légendes, au pire, des multinationales sans âme et sans considération pour leurs ouailles. En résumé, je n’ai pas la fibre partisane, j’aime mon pays, mais je ne suis pas “nationaliste”. Je l’aime surtout et je le remercie tous les jours de permettre à chacun de suivre sa voie (religieuse ou non), penser ce qu’il veut et pouvoir dire ce qu’il pense.

Pestacle

En y réfléchissant, je me suis rendu compte que, dans énormément de situations, si on m’enjoint de choisir ou de prendre parti, soit je ne peux raisonnablement pas, soit je le fais, tout en sachant que je ne suis pas d’accord à 100% avec ce choix. J’ai appris, très jeune, à avoir un avis équilibré, à peser le pour et le contre, à considérer les choses sous différents angles et c’est de moins en moins facile dans notre monde en noir & blanc, bien et mal, 1 ou 0, tout ou rien.

Solitude du spectateur, j’aime bien – Photo de Noah Silliman sur Unsplash

Ces sentiments de “non entière appartenance”, de “non engagement complet”, de “non certitude” m’ont sûrement poussé à adopter très souvent une position de spectateur plutôt que d’acteur. Je regarde, je pèse, je me fais mon idée mais… je n’interviens pas, parce que je me sentirais en porte-à-faux ou illégitime. Je me dis souvent que ce serait tellement plus simple de n’avoir que des certitudes bien ancrées, une batterie de principes à suivre “no matter what” mais je n’ai ni l’âme d’un héros, ni celle d’un complet connard. Ça ne m’empêche pas d’avoir des convictions, des limites, des principes, mais ce sont les miens, du moins j’aime à le croire, et ils ne coïncident jamais complètement avec les conventions des milieux dans lesquels j’interviens.

J’imagine que je ne suis pas le seul dans ce cas-là et que chacun se débrouille avec cela, selon sa famille, son éducation, son tempérament. De mon côté, je n’aime ni me conformer à des modèles, ni recevoir d’ordres, ni obéir à des “injonctions sociales” que je n’approuve pas. C’est ce qui m’empêche sans doute de me sentir membre d’une profession, d’un milieu, d’une famille au sens strictement biologique du terme.

Wesh gros !

Je précise que ce texte a été écrit avant le vote pour les européennes. Je vais aller voter pour les législatives mais je me trouve typiquement à devoir faire un mauvais choix pour éviter d’en faire un pire en n’en faisant pas… Triste.