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Et puis je suis devenu instit…

Où l’on fait un petit “flash-Bac” donc…

Et ouais et ouais (Steevy Boulay mode on). A 18 ans, j’ai passé le concours de l’Ecole Normale d’Auteuil, je suis arrivé 43e sur 700. Ils prenaient 90 d’entre nous, donc j’étais juste au milieu, pas trop mal vu mes lacunes en maths. Je précise que ce concours je l’ai passé, à l’époque parce que ce métier m’attirait. L’Education Nationale mettra 20 ans à m’en dégoûter mais c’est une autre histoire, à peu près aussi navrante d’ailleurs.

J’ai fait partie de la dernière promotion formée en deux ans. J’ai rapidement constaté le côté “à l’ouest” de l’enseignement qui nous était prodigué. En gros, seuls les séjours “en observation” ou “en situation” dans les classes des écoles proches de l’EN d’Auteuil ou à l’école Decroly de Vincennes, les bien nommées “écoles d’application”, nous apprenaient des choses valables et utilisables. L’enseignement reçu à Auteuil, c’était de la branlette intellectuelle. On ne passait, par exemple, aucun test qui aurait pu nous mettre face à nos lacunes avec derrière un programme de remédiation. Rien! T’avais réussi le concours, t’étais censé tout maîtriser.
Ça bavassait sur la linguistique, la psychopédagogie, dans une atmosphère infantilisante et surtout théorique voire éthico-psycho-logorrhéique. On évitait à tout prix de s’aventurer sur leur utilisation dans la pratique. Car les profs en question n’y connaissaient rien, ils n’avaient, pour la plupart, jamais enseigné ni en maternelle, ni en primaire, ni même au collège/lycée. Ils avaient été nommés là, Dieu seul sait comment.

Je me souviens notamment du prof de psychopédagogie, qui aurait pu être dessiné par Goossens dans ses grandes années. C’était l’archétype du catho intégriste mal dans sa peau et vaguement hostile, portant des pantalons de type “feu au plancher” l’ourlet à 10 cm de la pompe. Pour lui, un instit ne pouvait être qu’un homme, avec un collier de barbe bien dessiné, des lunettes de vue, une blouse, un petit cartable en cuir, des chaussures de ville qui ne connaîtraient jamais le doux contact du pantalon et, si possible, une calvitie naissante. Le gars a fini, un jour, par admettre qu’à ses yeux on était tous sapés “comme des clodos”. Sympa non? N’ayant rien à attendre de ce genre d’individus réacs et bornés, pitoyables même, je me suis lancé dans un programme de rattrapage perso qui a duré deux ans (79/80), car fort heureusement si les profs de l’EN n’assuraient pas une cacahuète, les instits des écoles d’application étaient parfois de bon conseil.

Pour le français, grammaire surtout, j’ai trouvé un exemplaire du Berthoux/Gremaux/Voegelé de Cours Moyen, édition 1951, vieilli pendant 30 ans en bibliothèque de chêne, d’une rigueur et d’une clarté exemplaire qui m’a enfin permis de comprendre clairement la mécanique des compléments d’objet, de réviser et préciser l’analyse logique et de revoir mes acquis. J’ai fini par en trouver un chez Gibert d’ailleurs, que j’ai toujours. J’ai bien sûr complété avec la série des Bled, des dicos, synonymes, étymologie etc. Bref, pour le français, ça n’a posé aucun problème j’avais juste besoin de rafraîchir certaines connaissances et de boucher quelques trous.

Homme choisissant un livre dans une bibliothèque
Photo de Devon Divine sur Unsplash

Côté maths, ma “béance personnelle” n’ayant d’égale que l’indigence intellectuelle de notre corps enseignant (à Auteuil j’entends), les programmes et, partant, les manuels de mathématiques étaient beaucoup plus difficiles à cerner pour un béotien comme moi. Comme expliqué précédemment, je ne rencontrais aucune difficulté avec l’arithmétique , le calcul mental, le système métrique, les raisonnements de type problèmes etc. J’ai donc révisé la géométrie de base, m’entraînant à réaliser des figures exactes à défaut d’être jolies, puis j’ai fait de même sur un tableau avec des craies et les fameux compas, rapporteurs, équerres et règles en T, jaunes, en bois, moches et fragiles.
Quelque part, durant ces deux ans, je suis tombé sur un manuel qui m’a enfin révélé que les lettres dans les équations étaient des nombres et c’est “là et seulement là” que j’ai appris à résoudre des trucs ultra simples, suffisamment pour assurer le niveau école primaire, mais guère plus, autant dire que ma culture générale mathématique était toujours du même tonneau. L’aurait pas fallu que je discute équations avec un élève de fin de 6e quoi. Encore aujourd’hui d’ailleurs.
Je pense avoir été un aussi bon instit que beaucoup d’autres, et mes élèves me l’ont confirmé, même des dizaines d’années après, mais j’ai toujours regretté de ne pas avoir été plus pointu en maths, pour eux.

Fort de mon expérience de “mauvais élève”, j’ai quand même tenté d’autres approches, plus pratiques, sur le système métrique par exemple. Faire l’expérience visuelle ou tactile d’un mètre, d’un centimètre ou d’un décimètre, c’est facile, d’un millimètre c’est gérable, mais d’un décamètre? Ou d’un hectomètre? Heureusement, j’ai trouvé dans la cave de l’école cinq chaînes d’arpenteur. Ce sont des chaînes métalliques de 10 m de long constituées de segments de 20cm avec une poignée à chaque bout. Et nous avons passé l’après-midi au Parc Montsouris, avec 5 équipes chargées de mesurer le tour du lac. Ben là je peux vous dire que le décamètre devient tangible, on l’a sous les yeux, ce n’est plus juste une notion. Par la suite, aidé de mes élèves j’ai monté exercices.free.fr, aujourd’hui à l’abandon depuis plus de 15 ans, qui a attiré plus de cinq millions et demi de visiteurs. Pour les maths un peu évoluées et la géométrie, je demandais l’autorisation à des profs d’utiliser certains de leurs exercices en ligne. On s’est bien amusés à monter ce site et, parallèlement on a même gagné le premier concours national des Défis du Net catégorie Primaire.

Travail en équipe
Photo de Anna Samoylova sur Unsplash

Encore un épisode ma vie où j’ai traîné les maths, enfin une partie des maths, comme un boulet. Voilà pourquoi les profs de maths et l’enseignement des maths m’ont pourri la vie. Les maths ça a l’air (au moins l’air) super efficace, on en trouve effectivement des applications dans des secteurs divers et nombreux et notamment parmi ceux qui me sont les plus chers. Alors, encore une fois, pourquoi aucun prof n’a été capable, durant toute ma scolarité au secondaire, de me montrer quelques-unes de ces applications ? Pourquoi m’avoir montré, démontré que c’était une matière chiante jusqu’à l’os, limite totalitaire (admettez, apprenez, vous comprendrez plus tard) et dont on n’avait pas besoin si on n’envisageait pas de construire des voitures, des avions ou des fusées? Bande d’enfoirés !