Le confort rend con…

…mais pas fort

Cette idée m’a littéralement sauté dessus lors de mon premier voyage aux USA en 1991. En ces années-là, les constructeurs de bagnoles avaient eu l’idée “géniale” qui ferait que plus personne n’oublierait de mettre sa ceinture de sécurité.

Le système fonctionnait comme suit: la ceinture du conducteur n’était plus ancrée dans le montant entre les portières mais juste au-dessus sur le bord du toit, dans une rainure qui courait au-dessus de la portière jusqu’au pare-brise. On n’avait plus besoin de boucler sa ceinture. On s’asseyait et, lorsqu’on fermait la porte, la ceinture venait se positionner toute seule. De même, on arrêtait le moteur, on ouvrait la porte et la ceinture retournait vers le pare-brise. On n’avait plus à y penser, plus de questions à se poser, on était automatiquement “ceinturé”.

Ben ça m’a travaillé ce truc. Parce que sous prétexte de te faciliter la vie, de te protéger à tout coup, on te retire la possibilité de faire un choix, même mauvais, on te dispense de penser à la mettre, bref tu ne fais plus l’effort, l’acte volontaire de mettre ta ceinture. De ce jour, j’ai commencé à regarder les portes automatiques et les télécommandes d’un autre œil.

Zap-zap !

Tiens oui la zapette! J’ai connu un temps ou quand tu voulais changer de chaîne sur ta télé, fallait te lever, aller jusqu’au poste et tourner tel ou tel bouton. Pareil pour le volume, l’allumage et l’extinction de l’appareil, j’vous parle même pas du réglage d’antenne.

Il est vrai qu’on avait beaucoup moins de chaînes et de canaux en tout genre qu’aujourd’hui. N’empêche que tu devais faire un effort pour obtenir ce que tu voulais de l’appareil. De nos jours, on peut rester dans son canapé, sans savoir vraiment ce qu’on veut regarder, on zappe entre la TNT, Netflix, les Replay, YT, Trucmuche TV auquel on est abonné. On peut jouer sur le volume, mettre en pause, enregistrer etc. Tout ça sans bouger son cul !

Si vous deviez pour chacune de ces actions vous lever et aller jusqu’au poste avant de vous rasseoir en vous apercevant que “Merde j’ai oublié de monter le volume”, de vous relever etc., vous pensez vraiment que vous n’éteindriez pas la télé plus tôt, vous épargnant ainsi des heures de visionnage sans but?

Photo de Adrian Swancar sur Unsplash

Quand Pavlov rallume la lumière

Autre exemple, j’ai assisté à une réunion dans une salle (plutôt un gros bureau) équipée d’un système d’éclairage qui s’éteignait au bout de 5 mn s’il ne détectait pas de mouvement dans la pièce. On comprend l’idée: faire des économies et faire en sorte que la lumière s’éteigne même si personne ne pense à le faire. Sauf que les rares mouvements qu’on fait lors d’une réunion où tout le monde est assis autour d’une table ne suffisent pas à faire comprendre au système automatique que des gens sont présents.

Donc, au bout de 5 minutes, la lumière s’éteint et notre hôte se met alors, tout en parlant, à lever ses bras et les agiter au-dessus de sa tête afin que la lumière se rallume. Il nous explique le truc, tout le monde se marre, la réunion reprend. Mais 5 mn après, la lumière s’éteint à nouveau et cette fois-ci on est plusieurs à lever les bras et les agiter pour rallumer. Vous m’direz ça fait faire de l’exercice, moi j’appelle ça du conditionnement.

Photo de Emma Frances Logan sur Unsplash

Porte ouverte… Porte fermée…

Encore un autre aux USA, encore une fois à propos de bagnoles. Lorsque sont arrivées les premières voitures à fermeture automatique, avec lesquelles il suffit d’avoir les clefs en poche et de s’éloigner pour que les portes se verrouillent ou de se rapprocher pour qu’elles s’ouvrent. On venait couvrir un salon de la musique et, comme d’habitude, on a avait loué une grosse tuture ricaine dans laquelle on pouvait rentrer à cinq, bagages compris. On enfourne tout ça à l’aéroport, direction l’hôtel. Mais, en route, le patron, fan de vinyles, veut s’arrêter chiner dans une boutique de sa connaissance. On sort de la caisse, j’appuie sur la fermeture centralisée et, par réflexe, je tente d’ouvrir une portière juste pour m’assurer que c’est bien fermé. Damned ! La portière s’ouvre…

“T’as pas du appuyer sur le bon bouton.”

On réessaie, rebelote! Là, on commence à se dire qu’on nous a refilé une bagnole défectueuse. Bref, ça dure dix bonnes minutes jusqu’à ce que le commerçant sorte nous demander si on a un problème. On lui explique et il a l’idée que c’est peut-être une de ces nouvelles caisses avec le dispositif en question. Je m’éloigne donc de la voiture d’une bonne vingtaine de mètres, l’un de nous reste à côté de la portière, tente de l’ouvrir et, ouf ! C’est fermé.

Photo de Markus Spiske sur Unsplash

Si on creuse un peu, que se passe-t-il sous prétexte de confort? On te force à faire confiance à un combiné d’électronique et de mécanique. Si tu es tout seul, tu n’as aucun moyen de vérifier que ton véhicule est bel et bien fermé. Fais confiance à la technologie et… dors, je le veux ! Alors ce n’est pas la confiance en une technologie qui me pose problème puisque, comme la plupart d’entre nous, je fais confiance à divers véhicules pour me déplacer, à plusieurs appareils pour manger, me laver, communiquer, mais j’ai plus ou moins choisi de le faire. Là on t’oblige.

Tous ces dispositifs misent sur notre paresse, notre inconséquence, nos oublis, ou notre bêtise. Pire, ils les renforcent. Censés remédier aux faiblesses de l’humain, mais calibrés pour fonctionner même avec le type le plus bas du front, ils nous tirent vers le bas, vers la paresse physique, intellectuelle, vers la médiocrité quoi. Pire, ils ne nous laissent pas le choix, sauf à ne pas les utiliser. Même la télécommande dont le rôle est paradoxalement de mettre tous les choix à portée de nos doigts, nous rend dépendant. Avez-vous déjà essayé de régler la luminosité d’un écran de télé moderne sans la télécommande?

Ah mais moi j’regarde pas la télé

C’est ce que j’entends le plus souvent quand je discute de ce sujet. Admettons et c’est tant mieux, mais vous avez bien un ordi, une tablette, un smartphone connecté etc. ? C’est pareil ! Non… C’est encore pire! Parce que là vous allez pouvoir voir et faire n’importe quoi, n’importe quand et de n’importe où. En un sens c’est super, vous pouvez vous rendre virtuellement dans un hyper, que dis-je un worldwide market, aussi bien que chez un fromager bio artisanal, au Mac Do ou dans les plus beaux musées du monde. Réserver des vacances, des voitures, des rendez-vous médicaux, payer vos factures, vos impôts assis sur vos chiottes ou allongé sur votre lit.

Ouf ! Coman javé peure 2 raté le Gris pain sur LeBonCoin… Trobien ! – Photo de Aejaz Memon sur Unsplash

On est content. On a cette impression de facilité, voire de toute puissance pour certains, alors qu’en réalité cela nous crée une nouvelle dépendance. Chaque nouvelle techno, chaque appareil qu’on laisse entrer dans sa vie crée un nouveau besoin. Et je dis bien « crée », car il n’existait souvent pas du tout au départ, ce besoin. Mais maintenant qu’il existe, on peut se sentir en manque. Vous avez déjà éprouvé ce manque quand votre chauffe-eau ne fonctionne plus et que vous devez prendre votre douche matinale, lorsque votre voiture ne veut pas démarrer pour vous emmener là où vous devez aller, lorsque votre chauffage, four, frigo, tombe en panne. Ben maintenant, en plus, vous avez votre ordi, votre smartphone, internet, et avouez que se trouver coupé de sa banque, privé de ses mots de passe, de ses mails, de son suivi médical, des différentes administrations dont vous dépendez plus ou moins etc., c’est bien pire que de prendre une douche à l’eau froide, non?

Questions:
— combien de fois avez-vous gueulé sur Alexa ou autre Siri pour qu’il consente enfin à baisser le volume alors qu’il vous aurait suffit de tendre le bras pour le faire?
— combien de vidéos de débiles ayant installé des ampoules connectées partout dans leur baraque même là où il n’en avaient aucun besoin? Checkez sur YT.
— combien de millions de personnes ont flippé pour leurs comptes lors de la panne mondiale FB, Insta, Whatsapp?

Allez expliquer ça à un mec vivant dans les années 70, au 19e siècle ou au Moyen-Age…

Alors si vous ne rêvez pas de finir comme un légume, à regarder votre mur-télé grand écran, assis sur votre combiné canapé/chiottes/frigo, en bouffant n’importe quoi en continu, votre télécommande à portée de main, éliminez ce qui ne vous sert à rien, ce qui est une dépendance toxique ou contentez-vous d’utiliser ce dont vous avez vraiment besoin. Et puis, sortez!

Wesh Gros !