Pose de la chambre

L’homme qui valait une blinde

Pour un certain nombre de maladies qui demandent des injections récurrentes de produits agressifs comme des chimios, on ne doit pas se reposer uniquement sur les veines des bras, trop petites, trop fines, trop fragiles. Si on le fait, on risque de les abîmer durablement. On me propose donc de me poser une chambre implantable : cela a la circonférence d’une pièce de 20 centimes et une épaisseur de moins de 5 mm, c’est en titane avec une membrane silicone au sommet. en sortie de la chambre on trouve un tuyau flexible et assez fin de 20 à 30 cm de long. Autant l’avouer, la documentation qu’on me file, une espèce de photocopie dégueu d’une page elle-même mal imprimée, fout plutôt la trouille qu’autre chose. T’as juste l’impression que les mecs vont te planter une tige métallique de la clavicule jusqu’au cœur. Tu dis oui quand même parce que tu te doutes que ça ne doit pas être tout à fait ça, mais honnêtement, cette doc, c’est le truc qui m‘a mis le plus mal à l’aise, au point que Marie a tenu à m’accompagner. J’aurais pu chercher sur le net mais j’ai pris au départ la décision de ne pas m’auto-documenter, connaissant la précision approximative de l’internet dès qu’il s’agit de médecine. Autre appréhension, c’est de la chirurgie ambulatoire et la seule fois où j’en ai fait l’expérience, j’ai vraiment eu l’impression d’être un paquet de bidoche dont les mecs souhaitaient se débarrasser au plus vite: on m’a libéré alors que j’étais encore sous l’influence de l’anesthésie, à charge pour ma belle-fille Anna qui était venue me chercher, de se démerder, y a pas d’autre mot. Encore une raison de ne pas être très enthousiaste.

Pour couronner le tout, on t’alerte bien sur le fait que ça peut provoquer un pneumothorax (j’en ai déjà eu un et j’ai pas trop envie de remettre le couvert) que ça peut s’infecter (avec accès direct à la veine cave supérieure, génial…), bref le seul argument qui restait en faveur du truc était de ne pas exploser les veines des bras. Et ça m’a suffi pour dire: “Ok on y va”.

La chambre d’ami

Arrivé là-bas, borne interactive, rien compris. J’essaie de scanner un code barre qui n’a rien à voir alors que j’ai le bon sur un bracelet autour du bras, laisse béton comme dirait l’autre… Je m’adresse à une personne qui se charge de faire les papiers d’accueil. Pendant ce temps, j’ai un coup de fil du service de chirurgie qui se demande où je suis. On arrive, tkt, on est dans la place!

On descend au -1, re papelards, signatures, discussions sur les lunettes (-Piscine ou vue? – Ben vue… – C’est marrant on dirait pas… – Ben si!) etc. Je laisse Marie aller manger un Panini et je rentre dans l’antichambre où l’on me file des chaussettes antidérapantes, une chemise, un pantalon et un peignoir en papier, plus une charlotte pour enserrer mon abondante et magnifique chevelure. Je laisse mes affaires dans un casier à deux portes, l’une pour quand on rentre, l’autre pour quand on sort et je me pose. Cinq minutes passent, on vient me chercher. Je m’allonge sur un “lit” de chirurgie. Lumières de partout, un écran qui suivra la progression de la mise en place et même YouTube sur un ordi pour écouter ce qu’on veut. Moi je préfère le silence et je le dis quand on me demande ce que je veux écouter. L’infirmière n’en fait qu’à sa tête et met de la musique de daube. Tout compte fait, ce n’est pas si mal: je suis quasiment certain de ne jamais la réentendre et d’éviter la madeleine de Proust post-opératoire. L’infirmière et l’assistante sont plutôt cools. Quand le chirurgien arrive, je lui dis toutes mes préventions (grande tige dans le cœur, chirurgie ambulatoire, pneumothorax, infections). Il tient à me rassurer sur chaque point. Déjà, il me montre l’appareil, exit la tige, bonjour le p’tit tuyau (cathéter). Il est d’accord sur le fait qu’on fait trop d’ambulatoire mais me promet que, dans ce cas précis, ça se justifie car l’anesthésie est locale et qu’en plus j’aurai un en-cas tranquille, après, pour reprendre mes esprits. Il m’assure n’avoir eu à déplorer qu’un seul pneumothorax sur environ 500 interventions de ce type. Bref, il démine tranquillement, sans esquiver aucune question. Le genre de doc que j’aime, qui ancre son professionnalisme dans la transparence et la simplicité de ses explications, pas de jargon. J’apprends d’ailleurs de sa bouche même que cette chambre est en titane et qu’elle “coûte une blinde”.

La mienne est carrément beaucoup plus classe…

On commence: j’ai un drap plus ou moins tendu au-dessus de moi, de manière à ce que je ne voies pas la “découpe”, le sang etc. J’ai une infirmière sur ma gauche, elle a placé mon bras gauche sur une gouttière en plastique. Anesthésie, c’est parti et, comme de bien entendu, je me crispe, faut dire ça fait pas du bien là tout de suite. J’essaie de ne pas bouger. L’infirmière me dit de respirer, de me détendre et je m’aperçois à ce moment-là que je suis en train de tordre entièrement la gouttière, heureusement très souple. Je lui réponds comme d’hab’ que c’est mort. La suite se passe très bien, je ne sens plus rien dans la zone en question. Le doc fait son office, me place la chambre, enfile le tuyau dans la veine en le faisant passer au-dessus de la clavicule, recoud le truc après avoir checké la mise en place.

— Voilà c’est fini, tout va bien, vous pouvez y aller.

Petit rossignol

Je sors de la salle de chirurgie pour atterrir dans un fauteuil, on me prend la tension etc., me pose quelques questions auxquelles je réponds d’une voix que je ne me connaissais pas. L’anesthésie s’étant propagée jusqu’au larynx, je parle comme si j’avais aspiré de l’hélium, une touche de fun et de bizarrerie bienvenue. Je retrouve casier et vêtements, je sors et me dirige vers la salle de repos/attente pour le petit café-tartines promis. J’y retrouve Marie qui m’attend, rassurée de me voir debout et bien portant, non sans avoir eu droit à un “Alors c’était cool la piscine ?” lancé par l’infirmière qui m’avait accueilli. L’opération a duré environ deux heures, tout compris, et on va attendre plus ou moins une heure et demie pour avoir le compte-rendu. C’est que le doc fait tout lui-même, pas de secrétaire. Bon au moins, on a la parole de dieu en direct. L’opération est vraiment une réussite, ça me fera un peu mal pendant deux ou trois jours, mais rien de fou, la douleur s’estompant progressivement.

On rentre avec Hassan et je me sens un peu comme Wolverine, la prochaine fois on me posera les griffes peut-être…

 

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