Ce post est une reprise et une extension d’un petit texte que j’avais publié sur FB. J’ai bien conscience que je saute du coq à l’âne et que mélange des sujets différents. Différents mais… connectés.
Lorsque j’étais adolescent, dans les seventies, je suivais mes cours d’histoire et il m’est longtemps resté cette question: comment les peuples à l’aube de ces deux guerres mondiales, avaient-ils pu ne rien voir venir ? Ils avaient tout sous les yeux pourtant.
A la lumière des événements de ces dernières années, j’ai compris qu’ils savaient. Comme pour nous aujourd’hui, toutes les cartes étaient sur la table. Mais alors pourquoi n’ont-ils rien fait ? Je ne parle pas des quelques personnes qui, à la marge ont essayé d’alerter, de faire quelque chose. Je parle de la masse.
Là encore, il suffit de nous observer. Nous ne bougeons pas et nous regardons monter les périls en suivant l’évolution de la pommette d’Antoine Dupont, de la fortune d’Elon Musk ou du twerk de telle ou telle. Pourtant, tout est sous nos yeux MAIS… Nous vivons dans un système qui nous empêche d’agir parce qu’il faut gagner sa thune, manger, s’habiller, se loger, que tout cela prend du temps, de l’énergie et nous a habitué à un confort même minimal auquel nous nous accrochons. Moralité, comme les générations précédentes, on attendra que ça nous tombe directement sur la tronche pour bouger. On attendra d’être obligés.
L’autre aspect qui me semble important tient à la nature des protagonistes. Dans cette guerre, pour l’instant encore “lointaine”, comme dans les deux précédentes, quelle que soit la religion qu’on invoque, les bords politiques affichés, on a des états ou des organisations totalitaires qui agressent des pays démocratiques (pas la peine d’essayer de me convaincre que nous sommes en dictature, le ridicule ne tue pas mais quand même…).
Des états qui, par exemple, ont mis en place un système de crédit social, des états dont le chef est là depuis 25 ans sans discontinuer (voir en bas de page) et dans lequel le voisin vient de se faire voter « leader à vie », vote à main levée bien sûr. Des états où les gens crèvent la dalle, où la charge de dirigeant se passe de père en fils, des états qui envoient des groupes casser les kiosques à journaux et intimider le kiosquier si une affiche présente mal leur leader et ça, à Paris comme partout ailleurs dans le monde.
Bref, on voit très bien que des mécaniques terrifiantes et récurrentes sont en standby, qu’elles peuvent s’enclencher très très vite. Et une fois que ça commence… on est au pied du mur. Tout s’embrouille et s’accélère.
Watcha Gonna Do? Hein?
Je me suis souvent demandé ce que je ferais si un conflit se déclenchait. Serais-je capable de discerner les enjeux, de faire les bons choix? On rabaisse souvent les gens qui ont été du mauvais côté de l’histoire et, en miroir, on glorifie ceux qui étaient du bon. Prenons la deuxième guerre mondiale: on nous présente souvent les choses de manière archi binaire. D’un côté les collabos (hou, hou, au pilori!) de l’autre, les résistants (ouais, ouais, vivats!) en oubliant, bien sûr, que la majorité des gens se situait entre les deux et tentait juste de survivre, en attendant de voler au secours de la victoire d’un bord ou de l’autre. Et même si les choses avaient été si simples, aussi noires et blanches, beaucoup de ces “maudits” ou de ces “héros” étaient très jeunes, entre 18 et 25 ans, lorsqu’ils ont été confrontés au choix d’un camp ou de l’autre.
Je me rappelle qu’à cet âge-là, je pouvais être très con et me décider sur un coup de tête, sans vraiment réfléchir, par instinct ou par contradiction plus qu’autre chose. Pour les plus âgés, un père ou une mère de famille ne pouvait qu’être tiraillé(e) entre ses convictions, ses obligations familiales, son humanité et les risques encourus. Bref, la pilule rouge ou la pilule bleue de Matrix c’est simple et limpide par rapport à ce qu’ont pu vivre les gens de cette époque-là. Donc je me suis posé la question à plusieurs reprises. Jusqu’où serais-je capable d’aller? A quel point suis-je sûr de ma potentielle réaction?
L’aiguilleur
Première interrogation, au début des années 80, en visionnant Shoah ( le film de Claude Lanzmann), un passage m’a énormément marqué: celui où il interviewe le gars qui gérait le dernier aiguillage avant le camp d’Auschwitz (ou peut-être d’un autre camp, ça fait longtemps que je ne l’ai pas revu). Et, contrairement à d’autres habitants de la région, il nie tout à fait avoir été au courant de la solution finale. Lanzmann lui dit: “Mais quand même, vous deviez bien vous rendre compte vu le nombre de trains qui étaient envoyés là-bas, que ça faisait beaucoup trop de monde pour un “simple camp de travail”. Le gars répond “Non, pas du tout.” et tu vois très très clairement dans ses yeux… qu’il ment!
Il ment pour se protéger lui-même, pour ne pas faire face aux implications d’une réponse positive. S’il admet qu’il savait, ou même qu’il se doutait, il ne pourra jamais plus ne serait-ce que prétendre être capable de se regarder dans une glace le matin. Je suis persuadé qu’il ne peut plus le faire depuis longtemps mais s’il l’admet, il se suicide socialement. En poursuivant mes réflexions, à cette époque, je me suis demandé ce qui l’avait amené à ce comportement: était-il simplement lâche ou avait-il par exemple charge de famille? Était-il d’accord avec l’extermination des juifs ou s’était-il rendu compte du problème trop tard pour agir ou réagir comme il l’aurait fallu? Avait-il juste été spectateur de sa propre absence de réaction? Bref, je m’étais vraiment interrogé sur ce qui pouvait amener un être humain à une impasse aussi évidente qu’elle le poursuivait toujours quarante ans après.
Dix ans plus tard (en 91), j’ai été hospitalisé pour un pneumothorax et j’ai lu un livre poignant sur Drancy et surtout sur les enfants qui avaient été laissés à eux-mêmes dans le camp, une fois leurs parents déportés. Après cette lecture, j’ai eu au moins une certitude sur ce que je ferais ou pas en cas de guerre. Quelques enfants avaient par moments réussi à s’échapper et avaient toqué à la porte d’une ferme ou de la première maison qu’ils rencontraient. Certains leur avait ouvert, d’autres avait laissé porte close et, pire encore, une troisième frange les avait reconduits au camp et remis de nouveau à la gendarmerie.
Témoignage de George Wellers au procès d’Eichmann : Arrivée des enfants du Vel d’Hiv au camp de Drancy
Ce jour-là j’ai su que je serais incapable de laisser un enfant à la porte de chez moi et que je ne pourrais jamais ne serait-ce qu’envisager de le ramener dans un camp d’internement. Mais pour le reste , très honnêtement, je ne sais pas ce que j’aurais fait à vingt ans, plongé dans ce chaos total. J’espère que j’aurais fait le bon choix, mais je suis assez bien placé pour savoir que certaines situations doivent être vécues, et non simplement envisagées, pour nous révéler à nous-mêmes.
Voilà pourquoi je souhaite qu’on ne soit pas, surtout que les jeunes ne soient pas, confrontés à de tels dilemmes, contraints de faire des choix qu’ils subiront toute leur vie. Mais si la guerre doit arriver, elle arrivera. Et il faudra se tenir debout, être capable de se regarder dans la glace, sans cligner des yeux.
Wesh Gros !
Aller plus loin…
Poutine 25 ans déjà