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Ready Player One?

Tous ceux qui l’ont vu se souviennent probablement de cet épisode de Black Mirror où les gens se notent les uns les autres et où chacun cherche à améliorer son score, ses likes et sa popularité.

Black Mirror – La chute

L’héroïne aimerait atteindre un nombre de points qui lui autoriserait l’achat de la maison de ses rêves. Pour l’instant, elle n’a pas assez de points pour avoir le droit de l’acheter. Elle n’est pas éligible. C’est alors qu’une amie beaucoup plus populaire qu’elle, l’invite à son mariage ce qui, imagine-t-elle, va lui permettre d’augmenter rapidement son score. Evidemment rien ne se passe comme prévu, elle n’arrête pas de perdre des points pendant son voyage, ce qui lui complique la vie, l’empêchant de louer la voiture qu’elle veut etc. et, après bien des avanies, elle finit en taule.

Alors on se rassure une première fois comme on peut: Black Mirror est une série d’épisodes “dystopiques”, c’est de la fiction. Ouiche, sauf que celui-là n’en est plus vraiment. Avez-vous déjà entendu parler du système de crédit social? Non? Les chinois eux, connaissent. Ça ressemble pas mal à cet épisode justement. En gros, là-bas a été mis en place tout un système interconnecté qui agrège un grand nombre de caméras de surveillance (une pour deux habitants), votre smartphone, votre compte bancaire, vos données biométriques, votre dossier médical etc. Le but officiel est de rendre la société plus sûre, d’aider chaque citoyen à améliorer son comportement social. Cela concerne évidemment ses interactions avec les autres (tu prends un taxi, à la fin de la course tu le notes et… il te note en tant que client!), mais également son comportement routier (piétons compris), sa manière de se cultiver, de s’alimenter bref, pratiquement tous les aspects de la vie sont concernés.

Big Bro… euh…Data !

C’est le fameux Big Data dont on nous rebat les oreilles, mais en action. Cette énorme collecte de données, identité, déplacements, comportements, santé, habitudes, possessions, consommation, relations, etc. est mise au service d’un réseau de surveillance constant de chaque individu ainsi que de la population dans sa globalité. Chaque personne a un score qui le place dans une des quatre catégories de citoyens. Chaque catégorie a plus ou moins de possibilités, d’avantages, de privilèges ou souffre, au contraire, d’impossibilités, de contraintes, d’interdictions. Cela joue sur vos facilités à obtenir un crédit, un visa, à être admis à l’hôpital ou dans un hôtel sans avoir de caution à payer, à obtenir ou non des réductions dans les transports en commun, à jouir ou non de certains services etc.

Le crédit social fonctionne car il combine plusieurs choses: un contrôle de masse venu d’en haut, le contrôle des uns par les autres et une certaine dose d’autocensure, de conditionnement. Exemple, le gouvernement promeut l’adoption d’une vie saine dans laquelle chacun doit favoriser ce qui le maintiendra en bonne santé. De ton côté, tu vas aller visiter un quartier ou assister à un spectacle. Au moment de choisir une boisson ou un snack, tu vas prendre un thé bio pas un soda et une barre aux céréales pas un truc hyper sucré et gras. Ainsi tu vas gagner des points sur le long terme. Tu feras même coup double car, en achetant ton goûter, tu participes à l’essor économique du pays. Tu n’as pas de monnaie ? Pas grave, ça n’existe plus ! Pas ta carte de crédit non plus ? Qu’à cela ne tienne, le distributeur de boissons fait de la reconnaissance faciale ! Tu te mets devant l’objectif et hop t’as payé !

Comme le montre très bien la vidéo, un jeu se met en place. Les règles du jeu sont fixées en haut. L’argent liquide ne sert plus à rien, il est remplacé par des points. L’arbitre numérique (et donc supposément neutre) est paré: caméras, serveurs, interconnexions etc. Le citoyen n’a plus qu’à devenir joueur de sa propre vie, adopter les bons comportements, gagner des points, changer de niveau et tout ira bien pour lui. Il joue sa vie au sens propre du terme. Mais attention, on n’a pas plusieurs vies dans ce jeu, on n’en a qu’une. Et ce système nous pousse à la vivre soit comme un pion, un rouage, soit comme un marginal, en dehors du jeu, avec tous les risques de mort sociale, voire physique, que cela implique. Logique, après tout, le marginal est inutile dans ce système.

Un double virtuel de la société toute entière a été appliqué sur la société “réelle”, de chair et d’os, et l’a contaminée (inséminée?), devenant un rouage essentiel de cette société 2.0 qui ressemble au programme de fidélité d’une enseigne de grande distribution avec le smartphone comme garde-chiourme.

Pas chez nous?

Vous vous dites sans doute que nos lois nous mettent à l’abri de ce genre de choses et, pour l’instant, c’est presque le cas. Nos lois ralentissent cette progression. Mais il faut savoir que le crédit social à la chinoise vient, à l’origine des USA. Là-bas, il n’était utilisé “que” pour établir votre fiabilité financière, en cas de création d’entreprise, de demande de crédit ou autre transaction et n’était en principe accessible qu’aux établissements financiers.

Mais en y réfléchissant bien, nous aussi nous notons. Qui n’a jamais mis de pouce en l’air sur les réseaux sociaux, choisi un nombre d’étoiles pour évaluer une livraison (Bien à l’heure? Bien empaquetée? Fonctionne comme prévu etc.), ou des smileys pour juger de la propreté des toilettes sur l’autoroute, dans un aéroport ou autre? Et les radars sur les routes, articulés avec le permis à points, n’ont-ils pas déjà joué ce rôle de régulateur des comportements, pour une grande majorité de conducteurs. Et ouais, nous ne sommes pas à l’abri ! Du tout !

Vos toilettes étaient-elles propres? Archi propres?

Parce qu’encore une fois on t’amène ça tranquille, par le confort, la sécurité. Pus de liquide ? Plus de vols à l’arraché ! T’as tout oublié à la maison? Tu peux tout payer sur ta bonne mine ! Tu rencontres des gens ? Tout le monde va être agréable pour ne pas risquer une mauvaise note. Trop génial non ? Sauf que tout est faux et tu le sais. Tu as troqué la sincérité des rapports humains contre un sentiment de sécurité, grâce à un château de cartes numériques qui n’a aucune légitimité sinon la coercition. Comme déjà évoqué, le confort rend con et même fort con !

Pendant que toutes ces choses tournent dans mon crâne, je tombe sur un reportage toujours autour de la bagnole: j’apprends qu’une compagnie d’assurance française, te propose de placer une puce sur ta prise de diagnostic qui enregistrera toutes tes interactions avec le véhicule, accélérations, coups de frein, vitesse etc. Si tu adoptes une conduite coulée, si tu anticipes les freinages, bref si tu conduis bien gentiment, tu peux économiser jusqu’à 30 ou 40% de tes primes. En France toujours, une entreprise a équipé toute sa flotte d’un dispositif similaire et fait gagner des bons d’achats aux conducteurs vertueux. Et ça marche ! Dans le reportage, une nana peste contre des travaux qui l’obligent à des freinages plus brusques que souhaités, ce qui risque de lui faire louper ses ristournes. On rêve? Non, on est déjà prêts ! Déjà bien dressés ! Et si on continue sur la pente actuelle, nous rejoindrons les chinois et d’autres dans cette “société idéale”.

Ah pis j’ai failli oublier: savez-vous qu’à l’occasion de JO de Paris 2024 on nous a annoncé la reconnaissance faciale tout azimut ? Puis non… Puis finalement qu’on allait conduire une “expérimentation de reconnaissance faciale” pour en valider à terme l’utilisation? On va donc bien faire de la reconnaissance faciale généralisée: tous ceux qui entreront dans les zones surveillées seront soumis aux algorithmes du système. Je sais bien ce que vous vous dites: “Oh bah s’ils font seulement des expérimentations maintenant, on a l’temps….”

PERDUUU !!!

En fait, de multiples expérimentations non officielles, donc illégales, sont conduites depuis 2015, par diverses organisations publiques (administrations, villes) comme privées (sites sensibles etc.). Elles sont, paraît-il, concluantes. En quoi ? Comment ? Pourquoi ? Con-clu-antes on te dit! OK? Le problème est que justement, pour l’instant, elles sont complètement illégales, les jeux vont donc te ripoliner tout ça d’un bon gros coup de respectabilité.

Rassurant non?

Corollaire de ce qui précède: la technologie est prête, elle est déjà en place et fonctionnelle ! Il ne manque plus que le feu vert légal. Les mecs sont dans les starting blocks. Alors bien sûr, pour convaincre la populace on convoque dans un premier temps les terroristes potentiels, puis les femmes bénéficiaires d’une mesure d’éloignement que ne respectent pas leurs conjoints violents, les mamies agressés aux distributeurs de billets etc. Mais il s’agit bien de la même dérive vers une société du contrôle et on sait bien que le contrôle finit par annihiler la société la réduisant à des simagrées, sans aucune vision, sans aucun but que le contrôle lui-même.

La démocratie et nos lois ne nous protégeront pas. Elles ralentiront le processus et c’est tout. Car démocratie, dictature ou entre-deux, quel régime ne rêve pas d’un système qui lui garantit la paix sociale? Système dans lequel l’individu, surveillé, tracé, évalué, contribue de lui-même, en flashant des QR codes, en se restreignant ou en adoptant les comportements souhaités, à cette marche absurde vouée à finir dans le mur, dont nous sommes les témoins (acteurs?). Et pour les quelques exceptions qui passeraient entre les mailles du filet, il reste cette bonne vieille délation, toujours efficace et… rémunérée… en points ! Ça ne coûte rien en plus ! Quelle poilade !

Wesh gros !

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