5 septembre, c’est mon anniversaire, j’ai 63 ans
Malgré tout ce qui précède, je n’ai jamais douté atteindre puis dépasser cette borne. J’envisage d’ailleurs d’en passer un bon paquet dans les années qui viennent. Mais voilà, dernièrement à force de tourner et retourner certaines choses dans ma tête, je me pose cette question: suis-je toujours le même ou suis-je une nouvelle version de moi-même, genre Fredd 2.0 ? Cela ne m’obsède pas, ne m’inquiète pas, mais cette question se range dans la catégorie des “pensées qui mûrissent tranquillement dans un coin de votre cerveau et affleurent régulièrement vous laissant mesurer les progrès qu’elles ont accomplis”.
Paradoxe(s)
Au cours de la bataille pour surmonter la maladie, on se mobilise entièrement, on traverse diverses épreuves, on découvre aussi beaucoup sur les choses, les gens, et soi-même. Cela nous change, déplace notre point de vue, nous ouvre de nouvelles perspectives et referme certaines tranches de vie. Mais, paradoxalement, c’est le Fredd d’origine qui a réussi, avec de l’aide bien sûr, de la chance, de la motivation et avec ses qualités/défauts du moment, à encaisser le choc et remonter la pente au fur et à mesure. Et voilà qu’en route, ce Fredd 1.0, par ce qu’il a subi, appris, vu, ressenti, compris, traversé, s’est mué, peu à peu, en quelqu’un d’autre, par petites touches, un Fredd 1.1 en quelque sorte.
Quand on se retourne comme je le fais depuis un moment, considérant des événements récents comme lointains, des instants comme de longues périodes, on réalise qu’on a profondément changé mais que, fondamentalement, on est resté le même, en plus serein.
En plus vénère aussi. Plus serein parce qu’on relativise forcément, on “repriorise” (ça sent le dialecte d’entreprise là ou c’est moi?) et forcément le dernier iPhone, la dernière polémique des “rézos”, ou la hype du moment, quand on sait qu’on risque de crever plus vite que prévu… On met gentiment ça de côté et on en a strictement rien à cirer. Plus vénère aussi, d’abord à cause de quelques médocs, mais surtout parce qu’on a besoin d’aller au but plus directement, sans finasser. Cela fait qu’on peut, dans le même temps paraître plus cool et plus speed.
Le cerveau est une machine puissante, un truc de malade !
Le mec qu’est pas là
En tout cas, j’aurai au moins appris à faire une chose: le mec qu’est pas là. Vous avez peut-être déjà éprouvé ça lors d’une conversation: on vous pose une question, vous commencez à y répondre et, à un moment, vous sentez que votre réponse n’intéresse plus votre interlocuteur, soit qu’elle le déçoive, soit qu’il n’ait posé la question que par pure politesse en n’ayant rien à carrer de la réponse. Vous vous en rendez compte parce que ses yeux s’éteignent, il n’est plus là, il pense à autre chose. Ce truc-là, j’ai appris à le faire sur commande.
Au début bien sûr, ça venait du traitement: n’arrivant pas toujours à se focaliser, à être attentif, par fatigue essentiellement, le trouple yeux/cerveau me déconnectait du “premier rideau”. Vous êtes toujours là, mais vous avez fait un pas en arrière. Cela vous demande moins d’efforts, c’est un switch automatique qui vous protège: vous n’êtes plus obligé de traiter toutes les infos qui vous parviennent. Ça repose. Cela s’accompagne physiquement d’un changement de focus de l’oeil qu’on perçoit aussi bien de l’extérieur (regard absent) que de l’intérieur (un peu comme si on était derrière une vitre). C’est ce switch physique de l’oeil que j’ai appris à reproduire sur commande.. C’est très pratique, vous arrivez quelque part il y a du monde? Vous êtes fatigué? Switch! Ceux qui vous croisent ressentent que vous n’êtes pas disponible. Pas besoin de parler, de faire la gueule ou une tête de méchant. Switch! Et c’est bon.
C’est assez rapide à “maîtriser” parce que cela fait appel à une certaine “mémoire du corps”. Il se souvient et reproduit la posture qu’adoptait l’oeil, dans ces moments de fatigue intense. Lorsque j’ai été capable de le déclencher, je suis allé voir ce que ça donnait dans la glace et j’ai réalisé à quel point j’avais du me trimbaler une tête de zombie de février à mai. La grosse différence entre ce switch et un air agressif ou hostile, vient du fait que c’est principalement défensif. Avant je savais montrer que je n’étais pas dispo ou que je ne souhaitais pas établir de dialogue avec une personne, mais cela pouvait passer pour du mépris ou de l’arrogance. Le switch, c’est simple: la personne voit, sent que vous n’êtes pas tout à fait là, elle n’insiste pas mais ne reçoit aucun signe dévalorisant, elle est juste légèrement déstabilisée durant une fraction de seconde. Il ne faut pas en abuser, ça doit rester une défense, un dernier recours pour ne pas se laisser envahir par une masse de données qu’on n’est pas à même d’appréhender sereinement.
Comme quoi, même un vieux singe peut apprendre de nouveaux tours. Nicht wahr?