En marche vers le pire? ep.1

Episode 01: Atlas

Il y a quelque temps j’ai écrit un billet sur la société du contrôle qui se met en place tranquillement, inexorablement. Au vu de certaines réactions goguenardes, sceptiques ou incrédules, j’avais hésité à écrire dans la foulée un autre billet sur un réseau mondial bien réel, destiné à aider l’arrivée au pouvoir de la droite extrême dans un maximum de pays du globe, tout en dérégulant au maximum le commerce et la finance. Hésité pour ne pas me faire taxer de “complotisme”. Aujourd’hui je me dis que j’aurais du l’écrire alors, et je me décide à le faire maintenant, tant les événements récents montrent qu’il y a bien une (et même plusieurs) tentative planétaire, de prise en main, de mise sous contrôle « techno-totalitaire » de la population mondiale. L’idée même de démocratie, démonétisée par des décennies de renoncements, de lâchetés, d’absence de vision ou de réaction, de corruption, d’inefficacité, a perdu beaucoup de son crédit chez ceux-là même qui en bénéficient tandis qu’un peu partout monte l’envie de régimes forts tenus par des hommes “virils” qui eux savent où ils vont. Sauf que… Avons-nous vraiment envie d’y aller nous aussi?

Source Courrier International

L’avènement de Trump et tout ce qui l’accompagne lève chaque jour un coin du voile sur ce mouvement international nourri de la convergence d’intérêts entre les mouvements les plus réactionnaires/conservateurs et les libertariens qui prônent la “liberté”, d’entreprendre, de parler etc., surtout pour eux-mêmes bien sûr. Je vais essayer d’exposer ce que j’en ai compris, ce que j’ai découvert en lisant, surfant, discutant et, croyez-moi, c’est bien flippant. Vous me direz que l’internationale d’extrême-droite ce n’est pas une nouveauté. C’est vrai, mais, désormais, le ralliement des moguls de la tech et la puissance de leur réseaux sociaux, leur donnent les moyens de leurs ambitions: des moyens techniques et financiers jamais vus jusqu’alors (voilà que je me mets à parler comme Trump c’est pas bon ça ;-)).

Pour moi, tout a commencé devant ma télé: je regardais se succéder les crises sur des chaînes d’infos continues (gilets jaunes, Covid, élections) et je finis par remarquer la présence récurrente d’intervenants présentés comme directeurs, chargés de communication, chercheurs ou analystes au sein d’organismes aux noms aussi vagues que ronflants tels l’IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) ou l’IREF (Institut de recherches économiques et fiscales). Comme, je pense, n’importe qui, ces noms m’évoquaient des trucs plus ou moins officiels, ou, du moins, des établissements faisant un travail relativement sérieux. On verra que oui, c’est sérieux, mais pas de la manière que l’on croit.

Comme, d’une part, j’aime bien savoir qui me parle et, d’autre part, j’avais quand même noté une connotation bien droitière et “pro riches” dans leurs interventions (vous savez ces pauvres riches que l’on ponctionne abusivement, ceux qui nous ruissellent tellement dessus), je me mets à creuser la question sur internet. De fil en aiguille, je découvre que ces structures sont tout sauf officielles ou agréées officiellement. Je me rends compte que certaines œuvrent depuis un moment déjà (1985 pour l’IFRAP par ex.) principalement à faire du lobbying parlementaire mais aussi à promouvoir des idées disons très très à droite. Je continue et découvre l’enquête d’Anne-Sophie Simpere sur le réseau Atlas.

Source Maria Boidin graphiste du rapport


De quoi ça s’agit?

Atlas est un réseau international de think tanks, une organisation libertarienne américaine à but non lucratif fondée en 1981. Son activité principale consiste à promouvoir des idées ultralibérales et climatosceptiques à travers le monde. En 2023, le réseau comprenait 589 partenaires (comme l’IFRAP ou l’IREF) dans 103 pays, avec un budget de 28 millions de dollars. D’où viennent tous ces dollars? De généreux donateurs comme les frères Koch, Exxon ou Philip Morris aux US et Michelin en France.

Ils utilisent plusieurs méthodes, de manière coordonnée, pour influer sur une élection, un référendum, l’adoption, la modification ou le rejet d’une loi.

La technique de la chambre d’écho, par exemple, permet de faire monter des idées, même très minoritaires au départ, dans le débat public. Plusieurs de ces think tanks, dans le pays concerné, parlent au même moment d’un problème (au hasard l’immigration, une nouvelle taxation des entreprises, une loi protégeant un territoire d’une exploitation de ses ressources naturelles), sous un angle évidemment bien à eux. On y va à coups de tweets, de vidéos sur YT, de newsletters, de rapports, de “sondages” etc., donnant le sentiment (erroné) que le “peuple” est contre ou au moins très préoccupé par le sujet. Cela même si ce n’est absolument pas le cas. Les algorithmes des réseaux sociaux et des moteurs de recherche ainsi que la volonté des politiques et des medias de ne pas “rater le coche” font le reste: des membres de ces think tanks se retrouvent presque “mécaniquement” invités dans les medias mainstream pour s’exprimer sur le sujet. Sujet qui, par conséquent, devient majeur et sur lequel tout le monde finit par exprimer son opinion, contribuant par là même à augmenter la taille de la caisse de résonance. Le but est d’installer des idées dans la société et de déplacer la fenêtre d’ Overton, en gros les limites de ce dont il est admissible de parler dans le débat public.

Autre bonne vieille méthode, les fake news bien sûr: arguments sortis de leur contexte, interprétés de manière très biaisée, utilisation de photos passées pour illustrer des événements actuels. Certes c’est vieux comme l’URSS mais aujourd’hui l’utilisation de l’IA pour générer des images ou des vidéos mensongères booste la méthode. Bref, tout est bon!

Et le problème, c’est que ça fonctionne! Très bien même. On les retrouve dans tous les mauvais coups, Brexit en Angleterre, victoire du non au référendum protégeant les territoires aborigènes en Australie, élection de Javier Milei en Argentine, accompagnant et favorisant la montée des extrême-droites partout en Europe. La liste de leurs interventions est longue, très longue. Je vous invite à regarder l’interview d’Anne-Sophie Simpere ci-dessous et, pour les plus courageux, à télécharger et lire le pdf détaillant son enquête, fournie, documentée avec plein de liens qui permettent de vérifier le bien-fondé ou la véracité de ce qu’elle avance.

 

 

Enfin ne pensez pas que nous ayons affaire à des amateurs qui comptent sur les capacités naturelles des membres du réseau. Non, non, ils forment tout ce petit monde aux USA à la Heritage Foundation et, depuis 20 ans, en France également grâce à l’IFP (Institut de Formation Politique), ce qui nous vaut des gens comme Charlotte d’Ornellas, Thais d’Escuffon et autres journalistes, influenceurs ou membres de partis politiques. Bref, tout cela est parfaitement organisé, coordonné pour manipuler les foules au grand bénéfice d’une caste de milliardaires et de leurs affidés. Et non je ne suis pas complotiste 😉 . Si vous lisez le rapport, vous aurez à disposition des liens vers les sites de ces “Instituts” sur lesquels ils ne se cachent même pas, revendiquant fièrement les résultats qu’ils ont obtenus. Tout est donc parfaitement documenté et vérifiable. Anne-Sophie Simpere n’exprime pas une opinion, elle relate des faits.

Dans le prochain billet je vous parlerai d’un autre bouquin très édifiant, Les ingénieurs du chaos, (dont font partie les officines et réseaux membres d’Atlas), de Giuliano da Empoli qui documente un autre aspect de notre marche vers l’extrême. D’ici là, profitez bien… tant que c’est encore possible.

Wesh gros!