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Musique

Alors voilà, tout aurait pu s’arrêter là, en apothéose, j’aurais pu ranger tout ça dans ma poche et mettre mon mouchoir dessus, après tout j’étais tiré d’affaire. Mais noooooooooooooon mon gars, c’est pas si simple! Je n’avais pas passé mon temps qu’à merder en maths, non. J’avais aussi commencé à pratiquer plusieurs instruments : flûte à bec, claviers, un peu de basse et trois ou quatre ans plus tard, j’allais me mettre sérieusement à la guitare. Et, tout ce temps-là, j’avais beau être motivé et m’accrocher sur la théorie musicale, je sentais que je n’y arrivais pas complètement, il me manquait une clef (non j’la ferai pas celle-là ;-)), quelque chose…

Puis, quelques années après le bac, je me suis rappelé d’une phrase de mon prof de philo qui, par ailleurs, maîtrisait l’art de la flûte traversière. Une phrase anodine au détour d’une réflexion n’ayant rien à voir : « La musique est l’expression la plus haute des mathématiques… ». J’avais pas vraiment fait gaffe sur le moment, d’autant qu’il avait rajouté « …et au-dessus, il n’y a que Dieu ! » ce qui m’avait convaincu qu’il avait fait un p’tit craquage pas grave. Ben non ! Il avait raison (pour la musique en tout cas. Pour Dieu? Je ne sais pas et je ne veux pas savoir).

En effet, si je me débrouillais honorablement avec les bases du solfège, dès qu’on arrivait à des trucs plus trapus, des choses qui impliquent de jongler avec les rapports mathématiques des notes entre elles, les renversements, les transpositions, les modes, les mesures composées, les décompositions rythmiques, Servokifon et moi-même, on passait quinze jours à vaguement cerner une notion qu’un matheux comprenait, intégrait et maîtrisait parfaitement en une demi-seconde. Autant dire que j’ai mis une éternité à comprendre certaines choses et que je suis encore aujourd’hui plus que passable en théorie musicale. J’ai les bases, pas les finesses.

Et là, je me refais plaisir: bandes de… de profs de maths! Pourquoi faut-il que j’attende un prof de philo, en terminale, pour me voir signifier le rapport intime entre maths et musique ? Pourquoi aucun d’entre vous n’a été foutu de nous le dire et encore mieux de nous le montrer ? Et vous vous lamentez ensuite que les maths ne soient pas bien vécues par la moitié des élèves ? Alors encore une fois, oui, j’ai ma part de responsabilité, j’aurais pu être plus curieux, mais vous avez bien tout saboté à la base, par votre présentation lunaire et quasi sectaire de la matière que vous enseignez. Avec Servokifon, bien implanté dès ma douzième année, même les rares fois où j’ai tenté de lutter contre, je n’avais aucune chance. Aucune ! Pourquoi aucun de mes profs de maths n’a été capable de causer avec le prof de musique pour mettre au point une petite séance mettant en évidence (ils aimaient bien ça mettre en évidence si je m’souviens bien) les rapports entre mathématiques et musique ? On adorait tous la zique à cette époque, bordel ! C’aurait été si facile…

Un casque audio sur une page de tablatures
Photo de Kelly Sikkema sur Unsplash

J’vous vois venir : “Quand même, t’as bien appris la durée des notes, t’as bien vu que les mesures se divisaient en temps…” Oui mais je ne voyais pas le rapport avec les maths. Pour moi c’était de la musique, point. De l’arithmétique à la rigueur, mais sûrement pas des maths. Et je pense que, là aussi, personne (avant mon prof de philo de terminale) n’a mis le doigt dessus pour que je puisse faire le pont dans ma tête. Je vous demande de vous rappeler que je ne visualise pas grand-chose et, de plus, à tous ceux qui sont nés après 1985, comprenez aussi qu’on a grandi sans smartphone, tablette, ordinateur, sans internet, sans tutos sur YT.
Partant de là, si ta famille n’avait pas de culture mathématique, pas les moyens financiers de te payer des cours particuliers, si ton voisin n’était pas ingénieur ou ne serait-ce qu’étudiant en maths, quand tu ne comprenais pas, tu avais assez peu de chances que ça s’arrange.

Je me rends compte d’ailleurs a posteriori que privilégier la guitare par rapport au claviers n’était pas forcément le meilleur choix que j’aurais du logiquement faire, même si j’adore la guitare, sachant que mes représentations mentales vont de rudimentaires à inexistantes. De plus, mon prof de l’époque, Mauro Serri, faisaient partie de ceux, qui popularisaient le CAGED System (voir plus bas).

Sur le piano, les notes sont clairement alignées sous vos yeux, vous n’avez aucun effort à faire pour les distinguer les unes des autres une fois que vous connaissez leurs noms. La géographie du clavier saute au visage grâce à la disposition des touches blanches et noires, et à la répétition du même schéma sur tout le clavier. A la guitare, c’est pas la même salade: il faut que votre esprit reconnaisse les notes sur les six cordes et intègre les formes et chemins des différents accords, gammes, modes, arpèges etc.
De plus, les intervalles entre les cordes à vide changent entre Sol et Si, on a une tierce majeure quand partout ailleurs on a une quarte juste, ce qui introduit un décalage d’une case. Un peu comme si, sur un clavier on avait une touche blanche de moins et que toutes les touches suivantes descendaient d’un demi-ton. Pour corser le tout, sur la guitare, certaines notes, même note à la même hauteur, peuvent être jouées à différents endroits ce qui n’existe pas sur un clavier.

Le CAGED est une manière intéressante de bâtir cette carte du manche, à partir des formes d’accords qu’on apprend quand on débute: Do, La, Sol, Mi, Ré (C,A,G,E,D selon la notation anglo-saxonne). On gagne aussi en aisance sur le manche quand on visualise comment les différentes formes d’un même accord s’enchaînent toujours dans le même ordre. Ça je l’ai rapidement, théoriquement compris, mais, pratiquement, j’ai mis 10 ans à transposer cette compréhension intellectuelle sur le manche, à visualiser (à peu près) notes et chemins et à permettre à mes doigts de s’approprier ce savoir pour ne plus avoir (trop) à y penser. Là aussi, je sais qu’avec un meilleur niveau en maths et une connexion maths/musique mise en évidence et explicitée plus jeune, je serais allé beaucoup plus vite, malgré mon manque “d’intelligence visuelle”.

Mais la litanie des dommages collatéraux ne s’arrête pas là…