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Un monde d’abonnés

Suite à la publication du post “Le confort rend con”, un pote (Vincent) m’a renvoyé un lien très intéressant sur le glissement progressif du capitalisme vieillissant comme système d’asservissement et d’exploitation de la population (on court après les possessions, on s’endette pour elles, elles nous représentent socialement, on nous en agite de nouvelles sous le nez etc.) au profit de la technologie, système de contrôle plus soft mais encore plus efficace. Cela rejoint le thème de ce post et des deux suivants qui mûrissaient depuis un moment dans mon cerveau.

Un des piliers du capitalisme est la propriété privée. Elle justifie d’une part l’organisation de la société autour du travail, qui génère un salaire, moyen d’acquérir ces propriétés, et, d’autre part, la jouissance, la reconnaissance sociale, le confort de vie que vont m’apporter ces propriétés.

Mon travail → Mes propriétés → Ma jouissance

C’est aussi le bâton d’immunité des ultra-riches : “Il a travaillé dur pour en arriver là.” ou, variante, “Il fait travailler x milliers de personnes.” Donc on ne peut remettre leur richesse en question. Et, côté citoyen lambda, c’est la carotte: “Travaille et tu en toucheras les dividendes.”

Mon travail → Mes propriétés → Ma jouissance! Vraiment? – Photo de Razvan Chisu sur Unsplash

On voit bien qu’il suffit de jouer sur quelques ficelles pour enfermer la masse des gens dans un cycle infernal de servitude: salaires minimalistes, contrats à durée déterminée ou carrément précaires, chômage, réglementations fluctuantes, produits calibrés. Si tu gagnes un peu mieux ta vie, ne t’inquiète pas : tout est prévu pour te faire saliver, avec du haut de gamme, de l’exclusif et de la série limitée.

Tout cela au profit des ultra-riches qui eux, demeurent intouchables et semblent même à certains des exemples de réussite, voire des « génies » qui légitimeraient le fait de se lever tous les matins pour aller au taf. Des fois que ça nous arriverait à nous hein?

Sauf que non, à 99,9 % ça ne nous arrivera pas. Admettons qu’il suffise de travailler pour devenir riche comme Jobs (oui ça m’a fait marrer), Musk, Gates, Bezos et consorts. Il y aurait très vite trop de riches et pas assez de personnes lambda pour les servir. Et ça, les gens, même quand ils continuent à courir après la carotte, s’en rendent de plus en plus compte. Ils voient bien que les exemples de réussite qu’on leur fait miroiter ne sont pas si nombreux. Ils voient bien que ces self-made men and women sont souvent issus de milieux aristos ou bourgeois très aisés et que peu sont sortis des banlieues et des milieux les plus modestes.

Alors, on a un peu déplacé le scope pour en inclure et mis de l’argent dans le sport, les “musiques actuelles”, adoubé des Jamel et des Omar Sy à la télé, au cinéma. On a ainsi pu rallier le footeux de Bondy, le rappeur de Saint-Denis et le comique de Trappes (métiers et noms de villes sont ici interchangeables). Même si, là encore, on a beaucoup d’appelés pour très peu d’élus, et même si  les fortunes sont incomparables avec celles des moguls de la tech, on a cru un temps que la machine pourrait continuer à avancer comme ça.

Photo de Ziejel Luciano sur Unsplash

Puis est arrivé l’internet

Dans ma jeunesse tu pouvais t’abonner au téléphone, à EDF, aux transports, à un journal, une bibliothèque, un vidéo-club, une salle de sport, sans compter le loyer si tu n’étais pas propriétaire. Tout cela avait un sens, il s’agissait à chaque fois d’un service qui nécessitait d’être propriétaire d’un trop grand nombre de choses (combiné, usine, bus, livres pas milliers etc.) que tu n’avais pas les moyens ou l’envie de posséder. Donc tu t’abonnais. Le seul truc un peu à part c’était Canal +, mais ça se “justifiait” par des contenus plus exclusifs, les derniers films avant tout le monde, le foot… Comme beaucoup, je trouvais le prix exorbitant et ne me suis donc jamais abonné à Canal.

Avec internet, on entre dans autre chose : l’abonnement se généralise peu à peu. Au début, dans les années 90, on s’abonne déjà à son fournisseur d’accès. Puis, pour certains, on fait un site web, alors on s’abonne chez un hébergeur et on paie pour un nom de domaine sur un, deux, trois ans et de fait, on s’abonne là aussi. Pour l’instant, on ne se méfie pas trop: à nouvelles technos nouveaux usages se dit-on. Mais ça va dégénérer dans la deuxième moitié des années 2000, comme souvent, avec l’offensive de la grosse thune et du commerce en ligne. On va s’abonner à tout et n’importe quoi: plateformes de jeu, de streaming, de stockage, de sécurité, de cours en ligne etc.

Abonnez-vous qu’ils disaient…

Certaines boîtes comme Microsoft, Adobe et d’autres y voient l’opportunité de changer de modèle. Que se passait-il jusqu’alors? T’avais ton ordi et comme un bœuf, on t’avait bien bourré le crâne sur le fait que MS Office (par exemple) était le must de la suite bureautique. Donc, tu t’en servais soit parce qu’il était préinstallé sur ton ordi, soit parce que tu utilisais une version crackée, ou encore parce que tu l’avais achetée. Dans tous les cas, tu savais qu’à la sortie d’une nouvelle version, faudrait soit se procurer une autre version crackée, soit continuer avec la vieille version, soit racheter une licence. Sauf que tout le monde ne le faisait pas et, autre écueil, les versions nouvelles d’Office arrivaient seulement tous les trois ans environ. Les p’tits génies du marketing de différentes boîtes ont trouvé la parade: on ne vend plus! On loue! Au mois, à l’année, mais on loue. On rentre des sous plus souvent, à échéances régulières et, accessoirement, on rend ainsi un peu plus compliqué le piratage. Génial non?

Pour l’utilisateur ça veut dire que son logiciel sera toujours à jour, toujours à la pointe, sauf…. s’il arrête son abonnement. Là, il n’a plus rien ou une version tellement bridée qu’il ne peut plus s’en servir normalement. Ça peut se comprendre quand un logiciel est super pointu, très en avance sur la concurrence, très novateur ou qu’il génère énormément de revenus et/ou d’économies. Mais que dire de MS Office qui coûte 70 euros par an, juste parce que les gars ont établi un monopole en entreprise à la charnière des années 80/90 ? Dès qu’on creuse un peu, on voit qu’il existe au moins trois ou quatre choix alternatifs (LibreOffice, OnlyOffice etc.) toutes gratuites, voire libres, disponibles aussi bien sur Win, Mac ou Linux, qui marchent aussi bien sinon mieux que MS Office. Donc, à part pour les entreprises (et encore) quel est l’intérêt de s’abonner à MS Office ?

Photo de Ed Hardie sur Unsplash

Mais le pli est pris, on s’abonne, on s’abonne: Spotify, Chat GPT, Netflix, Disney +, Prime, Bein Sports, YouTube, Dropbox, cours de guitare, coaching de mise en forme, de vie, de spiritualité, formations, tout y passe! Tout est abonnement ! A tel point qu’il existe maintenant des logiciels pour gérer tes abonnements ! Et si t’as toujours pas assez de sous, on te propose un abonnement 50% moins cher mais avec des pubs… tandis que d’autres truffent leur version de base de pubs pour t’inciter à t’abonner.

En voiture Simone…

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Le climat se rappelle à notre bon souvenir? On va donc, paraît-il, changer toutes les voitures européennes pour des véhicules électriques. Problème, la moindre caisse électrique coûte plus cher à produire que son équivalent thermique, et, vu les investissements consentis, il faut s’assurer une marge confortable pour que ce soit viable. Ainsi les fabricants délaissent les modèles simples et économiques qui ne génèrent pas de marge suffisante et, partant, les premiers prix sont de moins en moins accessibles. TKT Marcel ! Je sais: on va les louer ! Abonnement…

Tu loues ou tu loues pas ?

J’arrête là, car je pense qu’il vous suffit d’observer votre propre cas pour constater cette inflation des abonnements, des locations de long terme en tout genre. Mais il faut bien se rendre compte qu’en passant de la propriété à l’abonnement, on se rend vulnérable. Quand tu es propriétaire de ta maison, en cas de coup dur, tu as toujours au moins un toit et au pire tu peux toujours revendre ta maison. Mais quand tu es locataire, tu arrêtes de payer, t’es à la rue ! Ben là c’est pareil: d’un jour à l’autre tu peux passer de Bruce tout-puissant derrière son écran à pestiféré dont plus aucun service ne veut.

Votre vie professionnelle, vos loisirs personnels, votre confort quotidien, tout peut sauter si vous n’êtes qu’abonné/locataire. On se console en se disant que c’est pas si cher et qu’on arrivera bien à trouver de quoi et qu’on peut toujours s’arranger avec la banque, les telecoms et tous les autres. Mouais…

Et si un jour, on était confrontés à un pouvoir qui utilise ouvertement ces leviers sans possibilité de recours et/ou de contrôle démocratique?

Wesh Gros!